Quelques considérations matérielles sur le Mac Pro

J’en ai discuté sur Twitter, j’en ai parlé avec des collègues, c’est un sujet intéressant : que penser du côté matériel du Mac Pro d’Apple ? Attention, c’est long, un peu technique et un peu décousu.

Passons sur une chose : le prix, même s’il est élevé — j’y reviens — est justifié par deux choses. La première, c’est évidemment l’intégration hors-norme et le silence annoncé. La seconde, c’est que c’est du Apple.

Maintenant, parlons de ce qu’il y a dans la machine.

Côté CPU, c’est un Xeon E5 v2. Plus simplement : la version professionnelle des puces Core i7 Ivy Bridge sortie en 2012. Intel a décidé, il y a quelques années, de décaler la sortie de ses puces : on a une architecture x dans le grand public (Haswell en 2013) et une architecture x-1 dans le monde professionnel, donc Ivy Bridge ici. Il s’agit de la variante E de l’architecture : on a une mémoire cache d’une plus grande capacité, un contrôleur mémoire plus efficace et un connecteur différent.

Dans le Mac Pro d’entrée de gamme, on a le Xeon E5-1620 v2, un processeur doté de quatre coeurs, cadencé à 3,7 GHz et vendu 294 $ par Intel. C’est le même processeur (minus le support de la mémoire ECC) que le Core i7-4820K, vendu le même prix. C’est un processeur haut de gamme, mais le Core i7-4471 qu’on peut trouver en option dans les iMac 2013 est plus rapide. Apple propose d’autres processeurs en option, avec jusqu’à douze coeurs. Attention, plus le nombre de coeurs augmente, plus la fréquence de base diminue : 2,7 GHz seulement quand on a douze coeurs, ce qui peut avoir un impact dans les programmes qui gèrent mal le multithreading. Ceci dit, quand on a besoin de douze coeurs, on a a priori des programmes adaptés.

Question stockage, Apple utilise un SSD en interface PCI-Express, annoncé à 1 200 Mo/s. Si la tentation est grande de comparer le SSD en question aux modèle PCI-Express disponibles dans le commerce actuellement comme les Revo d’OCZ, il ne faut pas : c’est fondamentalement assez différent.

Faisons simple : un SSD classique, dans un PC, utilise un contrôleur qui s’interface en SATA (600 Mo/s au maximum actuellement) avec de la mémoire souvent capable d’atteindre nettement plus.

Un SSD PCI-Express classique, dans un PC toujours, est généralement composé de trois choses : un contrôleur SATA en PCI-Express et deux SSD. Pour passer outre la limite des 600 Mo/s du SATA, il s’agit généralement de deux SSD en RAID0 (parfois plus). Les performances suivent, mais le coût est élevé. Techniquement, mettre deux SSD en RAID0 directement donne d’ailleurs les mêmes performances.

Dans le Mac Pro (et dans les iMac, MacBook Air et Pro), Apple utilise des SSD PCI-Express AHCI. Il s’agit de SSD dont le contrôleur peut s’interface en PCI-Express directement. Dans les portables, on a deux lignes (1 Go/s maximum), dans le Mac Pro, a priori quatre lignes (2 Go/s au maximum). L’avantage est le coût : on peut simplement mettre plus de puces en parallèle. Quand Apple propose un SSD PCI-Express de 256 Go, il ne coûte pas réellement plus cher qu’un modèle SATA, alors que dans un PC, le prix explose.

Apple a l’avantage d’utiliser ses propres connecteurs et de ne pas s’inquiéter de la compatibilité avec le reste du monde : ça permet de proposer des SSD très rapide avec un surcoût très faible. Dans les PC classiques, le s SSD PCI-Express existent dans de rares Ultrabooks, mais pas encore dans le monde des machines de bureau.

Et le GPU ? C’est un point intéressant. Apple parle de FirePro Dx00. Chez AMD, cette dénomination n’existe pas et il est donc assez compliqué de comparer avec l’existant.

La D300 correspond à une FirePro W7000 au niveau du GPU (Pitcairn XT, utilisé dans les Radeon HD 7870). Apple n’utilise que 2 Go de RAM (contre 4 Go sur la W7000) et au vu de la puissance annoncée, on peut estimer une fréquence de l’ordre de 780 MHz, contre 950 MHz sur la W7000.

La D500 ne correspond pas à une carte existante dans la gamme FirePro. Elle semble équivalente à la Radeon HD 7870 XT (minus l’erreur sur le nombre d’unités, qui est de 1 536 et pas 1 526). Pour la fréquence, on peut estimer qu’elle est assez faible, environ 715 MHz, alors que la Radeon HD tourne à 925 MHz. Pour la mémoire, c’est un bus 384 bits, qui se retrouve sur la gamme au-dessus chez AMD.

Pour la D700, c’est l’équivalent d’une FirePro W9000 en moins rapide. On peut estimer la fréquence à 850 MHz environ, alors que la W9000 atteint 975 MHz.

Maintenant, il y a deux questions intéressantes : est-ce qu’OS X supportera les deux GPU en même temps en 3D et est-ce que les cartes seront utilisables en tant que FirePro sous Windows ?

Pour le premier point, j’en doute. OS X ne supporte pas le SLI/CrossFire et vu les problèmes qu’AMD a pour proposer une solution efficace sous Windows alors que la société fait des pilotes dédiés depuis des années, je vois mal les pilotes OS X fonctionner correctement sur ce point. A mon avis, on aura simplement deux cartes séparées pour le système, et une seule carte utilisée lors d’un rendu 3D classique. Pour le calcul, ce qu’Apple met en avant, c’est différent : OpenCL permet d’utiliser sans soucis deux cartes en parallèle.

Pour le second, c’est anecdotique, mais c’est un point lié au coût. Une carte FirePro W7000 est vendue 650 $ alors que techniquement, elle est plus ou moins identique à une Radeon HD 7870 vendue 150 $. La justification du prix vient essentiellement des pilotes pour les applications professionnels, validés, testés, plus « fiables ». Sous Mac OS X, ce n’est pas un argument : de ce que j’en sais, les cartes professionnelles et grand public utilisent les mêmes pilotes.

L’estimation du prix des cartes est donc assez compliqué : comparer la D300 du Mac Pro au prix d’une W7000 n’est pas très honnête. La W7000 est plus rapide, a plus de mémoire et a un prix artificiellement élevé à cause des pilotes.

Le reste de la machine

Plus intéressant, le reste de la connectique.

J’attends de voir comment Apple va gérer l’USB 3.0 : le chipset utilisé avec les Xeon E5, de la famille C600 (X79 en grand public) ne gère en effet pas l’USB 3.0 nativement et la seule solution est donc d’utiliser un contrôleur externe en PCI-Express. Et de ce que j’ai pu voir, les rares contrôleurs supportés par Mac OS X sont franchement plus lents que celui intégré dans les chipsets Intel récents. Donc soit Apple a un contrôleur rapide sous la main (possible), soit on aura un Mac Pro moins rapide en USB 3.0 qu’un simple MacBook Air (probable). Pour se donner une idée, un bon SSD en USB 3.0 avec un boîtier rapide atteint 440 Mo/s environ sur un contrôleur Intel et moins de 350 Mo/s sur un contrôleur Fresco, celui utilisé dans les dock Thunderbolt.

Du côté du Thunderbolt 2, j’ai aussi un doute, surtout au niveau du nombre de lignes PCI-Express. Faisons simple : on a un certain nombre de lignes à partager entre les différents composants de l’ordinateur. Dans un Mac Pro, on a 40 lignes PCI-Express 3.0 sur le CPU et 8 lignes PCI-Express 2.0 sur le chipset.

De base, il y a deux lignes pour les deux connecteurs Ethernet, a priori une ligne pour l’USB 3.0, une pour le Wi-Fi et quatre pour le SSD. On peut supposer que tous les composants en question sont câblés sur le chipset.

Il reste donc 40 lignes PCI-Express 3.0 pour les six connecteurs Thunderbolt et pour les deux GPU. Donc soit Apple met 16 lignes PCI-Express 3.0 par GPU, ce qui en laisse seulement 8 pour le Thunderbolt (trop peu pour alimenter six connecteurs), soit les GPU sont câblés en PCI-Express 3.0 x8 (ça joue assez peu sur les performances) et le reste est dédié au Thunderbolt. Il sera intéressant de vérifier le choix effectué : si l’impact est pratiquement nul sur les GPU, ça peut se voir sur les connecteurs Thunderbolt.

Un dernier mot sur les sorties vidéo : le Thunderbolt 2 permet de prendre en charge le DisplayPort 1.2 et donc les définitions de type 4K. Je ne vois pas exactement la raison technique qui limite le nombre d’écran à 3, les cartes sont censées supporter six écrans 4K par GPU en DisplayPort. Pour la sortie HDMI, comme sur les MacBook Pro, Apple a visiblement supprimé un bridage, mais on restera limité à du 30 Hz en Ultra HD, limite du HDMI.

Au final ?

Mon avis sur cette machine, c’est que la version de base, vendue 3000 €, est trop onéreuse au regard de la puissance. L’intégration est excellente, le design hors-norme, mais la partie matérielle trop faible pour le prix. Plus simplement, on peut prendre les paris, un iMac 2013 « full option » vendu moins cher avec un bon écran sera au moins aussi rapide dans la majorité des usages. Prendre le Mac Pro d’entrée de gamme pour « prendre un Mac Pro », c’est un peu contre-productif si on n’a pas des besoins précis.

Par contre, dès qu’on met des options, c’est différent : la machine reste extrêmement onéreuse, mais il n’existe pas d’autres machines chez Apple capable de lutter. Ca reste très cher, mais ça reste du Apple : on s’y attend.

Après, j’attends de voir si je me suis trompé sur certains points (c’est possible) et j’attends aussi de vrais retour sur le silence de la machine.

Mon avis est un peu partagé sur cette machine : elle me fait penser au Power Mac G4 Cube à son époque. Une machine qui change radicalement la donne mais qui ne marchera pas nécessairement. Il y a tout de même deux différences entre le Cube et le Mac Pro. La première, c’est que l’aura d’Apple n’est pas la même qu’il y a 10 ans et que les gens sont plus enclins actuellement à mettre plusieurs milliers d’euros pour la machine, j’ai vu assez de réactions enthousiaste sur le prix de la machine sur Twitter pour m’en rendre compte (on parle d’une machine à 3 000 € quand même…). La seconde, c’est que l’échec du G4 Cube est en partie lié au fait qu’un Power Mac classique offrait des performances équivalentes (ou meilleures) pour moins cher. Le G4 Cube jouait sur son design, pas sur les performances. Le Mac Pro, il n’a pas de réelle concurrence dans la gamme Apple et il joue donc aussi sur les performances, ce qui ne laisse pas de choix à ceux qui veulent une machine vraiment puissantes : c’est le Mac Pro… ou rien.