Un téléviseur Apple ? Pourquoi je n’y crois pas

On parle beaucoup dans les rumeurs de téléviseurs Apple. On refait Le Mac, un podcast que j’apprécie et dont les intervenants sont très sympathiques — j’en ai rencontré une partie — a justement fait un sujet sur cette rumeur en particulier et je trouve le tout assez intéressant. Pour autant, je suis assez dubitatif sur plusieurs points.

Note : Ceci est un papier sorti il y a quelques mois maintenant, que j’ai mis à jour avec quelques informations plus récentes.

Au niveau de l’interface, rien à dire. J’utilise les deux modèles d’Apple TV et c’est efficace. C’est fluide, extrêmement simple à comprendre et très nettement au-dessus de ce que j’ai pu voir en Media Center au niveau de l’ergonomie. Le gros avantage est que c’est très rapide à utiliser : j’achète un truc sur iTunes sur mon ordinateur, c’est disponible dans la seconde sur l’Apple TV en streaming (si l’ordinateur reste allumé) et — sur mes modèles — dans les 5 minutes sur le disque dur, automatiquement. Qui plus est, je peux acheter ou louer directement depuis le boîtier.

Pour les fonctions « connectées », j’ai accès à YouTube, à FlickR, à Vimeo, à iCloud, etc. Et sous YouTube, contrairement à mes appareils Samsung, la qualité est bonne. De plus, Apple dispose d’un système de télécommande très efficace : un modèle simple, avec 6 ou 7 boutons, qui effectue la majorité des tâches et la possibilité d’utiliser la télécommande « ultime » dans beaucoup de cas : l’iPhone, l’iPod ou l’iPad. Pour faire une recherche, on sort l’appareil iOS, le reste du temps, on a pas besoin d’une énorme télécommande affreuse avec un clavier, comme avec Google TV. C’est simple à comprendre, efficace.

Le problème qui va se poser, c’est sur le reste. Premier point, le cycle de développement des appareils Apple. Dans le monde de la télévision, on est sur des gammes comprenant énormément de modèles et de tailles de dalle, avec généralement deux « refresh » par an. Chez Apple, on est sur des gammes avec peu de choix et une durée de vie de un an. Ca peut poser problème face à la concurrence. De plus, les prix diminuent assez rapidement dans les téléviseurs, Apple a plutôt tendance à garder le prix identique pendant un an. Si ça a marché dans le monde de la téléphonie, où Apple a peu de références et un cycle de renouvellement long, ce ne sera pas nécessairement le cas sur un autre marché.

Deuxième point, le design. Apple est une société reconnue pour le design de ses appareils, mais on se rend bien compte qu’actuellement, pour vendre, c’est de plus en plus consensuel. La société a fait des choses bien plus originales dans le passé qu’actuellement et si l’iPhone a été intéressant en son temps sur le design — il a assez été copié pour ça —, ce n’est pas le plus beau ni le plus original des smartphones. Quand on voit certains modèles Samsung ou Sony, et en prenant en compte que les possibilités de design sont limitées sur un téléviseur, on peut se poser des questions. En effet, un téléviseur, c’est essentiellement une (grande) dalle et un joli décorum. Apple peut nous faire un modèle lisse sur l’arrière, en aluminium, à moitié transparent, mais dans l’absolu il y a des limites. De même, le travail sur la télécommande de l’Apple TV n’est pas directement transposable sur un téléviseur : si un Media Center peut se contenter de peu de touches, un téléviseur pas, la fonction de base — regarder la télévision — demande tout de même un vrai clavier numérique, à mon sens. Reste la solution de fournir un iPod touch d’entrée de gamme comme télécommande, qui s’adapte à l’usage. En pratique, je ne suis pas certain que l’effet halo et le design puisse vraiment convaincre les gens de changer en masse.

Parlons d’un point, avant de passer au troisième problème : les fonctions annexes. C’est le point sur lequel Apple peut gagner. La société sait faire des interfaces simples, fluides et efficaces. Elle a un système d’exploitation parfait pour ce genre d’appareils (iOS) et les applications existent déjà. AirPlay permet de transformer un appareil comme un téléviseur en point central du hub numérique cher à Steve Jobs. Contrairement à Sony, Samsung ou LG, Apple a la possibilité de proposer directement des offres de VOD sur le téléviseur, sans intermédiaires. Un navigateur, un accès à des centaines de service, rien ne pose véritablement de problèmes sur un appareil de ce type. Et pourtant… C’est un véritable problème dans un sens : si Apple gère tout ça très bien, Apple n’aime pas partager.

C’est pour moi le troisième et le plus gros problème. La politique de « verrouillage » d’Apple n’est pas conciliable avec un téléviseur. Proposer un téléviseur, c’est permettre à des gens, d’autres sociétés, d’utiliser des services autres que ceux d’Apple. Prenons un exemple simple : la télévision. Pour regarder la télévision sur un téléviseur actuellement, on passe de moins en moins par l’interface de ce dernier. En fait, dans beaucoup de cas, le téléviseur ne sert que d’écran pour un décodeur. Que ce soit un décodeur TNT, un décodeur câble ou une Freebox. Et les décodeurs en question, ils offrent des possibilités proches de celles du téléviseur même. Si Apple décide de mettre un Media Center dans son téléviseur, il ne lira que les fichiers issus de l’iTunes Store (en simplifiant). Si l’acheteur branche sa Freebox, il lira plus ou moins ce qu’il veut. Dans une interface moins efficace, jolie, rapide, mais avec plus de possibilités. Pour regarder la télévision, la majorité des gens ne passeront pas par l’interface d’Apple, si jolie soit-elle : il n’auront pas le choix, ce sera le décodeur ou rien d’autre. Regarder un film ? Soit on l’achète sur iTunes en 720p, soit on branche un lecteur de Blu-ray en 1080p… C’est sûrement ce qui doit bloquer chez Apple : laissez Samsung, LG, les FAI, les opérateurs, prendre complètement la main sur l’appareil n’est pas concevable pour Apple. C’est un peu comme installer Windows sur un Mac : ça fonctionne, mais le Mac n’est plus qu’une jolie coque design très onéreuse. Et ne parlons pas de la publicité…

Qui plus est, le problème de la télévision elle-même se pose : quelle est la source ? Actuellement, on en a plusieurs : la TNT (DVB-T), qui est disponible dans tous les téléviseurs mais propose peu de chaînes. Les offres de type câble (DVB-C) ou satellite (DVB-S) où il est techniquement possible de se passe du décodeur, même si dans la pratique ce dernier est toujours fourni. Les offres de télévision par ADSL, fournies par les opérateurs et enfin — solution rare mais possible — un flux fourni par la chaîne, disponible sur Internet. Si Apple peut intégrer un tuner TNT (logiquement), c’est plus compliqué pour le DVB-C et -S : les fournisseurs apprécient moyennement de partager les flux. Pour les flux « opérateurs », c’est à mon sens impensable qu’Apple obtienne un accès : c’est un argument de vente pour les accès à Internet. Reste des flux qui passent directement par Internet, une solution séduisante mais qui souffre d’un défaut : il faut une connexion rapide pour ce genre de chose. Et quand on voit qu’en France le débit moyen n’atteint pas 6 mégabits/s, c’est mal parti. Sachant que les gens doivent pouvoir continuer à surfer, la HD pour tous est irréalisable. Et même proposer un flux SD risque de laisser beaucoup de gens sur le bord de la route…

Quatrième point, si Apple fait un design qui tue, arrive à vendre à contre-courant du marché et « accepte » de laisser la main sur son joli appareils aux autres acteurs du marché, il reste le problème principal : l’usage. Que font les gens sur un téléviseur ? Il regarde la télévision. C’est évident, mais il est bon de le rappeler. Et quand ils regardent la télévision (ou un film), l’interface, le design, les fonctions connectées, on s’en moque. Si les Mac se vendent grâce à Mac OS X et l’iPhone grâce à iOS, c’est parce qu’on est très souvent en contact avec l’interface, qui apporte un plus majeur. Sur un téléviseur, une fois le film lancé ou l’émission commencée, l’interface disparaît. Le contact avec cette dernière est court. Très court. Trop court ?

Reste une solution, même si je ne suis pas certain que les gens soient prêts pour ça : qu’Apple ne propose pas un téléviseur au sens strict du terme mais un écran géant, centre du hub numérique. Sans la possibilité de regarder la télévision. Un appareil où les fonctions, les applications, serraient au centre du concept. Pas besoin de prise HDMI pour que les concurrents viennent remplir l’écran : Apple fait tout. Regarder des films ou des séries ? Oui, en les achetant sur l’iTunes Store ou avec un service financé par iAds… Des informations ? Un service de streaming dédié permet de regarder un journal actualisé en permanence. L’idée serait de sortir la télévision du téléviseur, pour quelque chose de plus interactif, avec l’interface au centre du concept.

Enfin, il y a le problème de l’obsolescence. Un téléviseur, ça se remplace moins souvent qu’un ordinateur, un smartphone ou une tablette. Avec les appareils iOS, Apple semble proposer des mises à jours pendant environ 3 ans. Pour un téléviseur, c’est bien trop peu : la durée de vie attendue est bien plus grande. Malheureusement, augmenter la durée de vie implique de limiter les fonctions : si on veut des mises à jours pendant 4 ou 5 ans, le matériel doit être globalement figé, ce qui n’est pas concevable dans une « Smart TV ». La seule solution viable serait de proposer une mise à jour du matériel ou de séparer — d’une façon ou d’une autre — la partie écran de la partie « intelligente ».

Mais à mon avis, ça reste quelque chose qui ne passerait pas, tout du moins actuellement. Parce que pour ça, il faut du contenu, et le contenu est lié en grande partie à des sociétés qui ne veulent justement pas d’un tel concept : les chaînes de télévision.