Bien comprendre le passage à la TNT HD

Dans la nuit du 4 au 5 avril, un petit séisme est prévu dans la diffusion hertzienne de la télévision en France : le passage en (presque) tout HD. Il y a énormément d’incompréhensions, donc je vas faire un point.

Un peu d’histoire

La France reste un peu particulière en Europe. Jusqu’en 2005, la diffusion hertzienne (avec une antenne, dans les airs) analogique était la norme, avec une technologie française (SECAM) et peu de chaînes (six en clair). C’est très différent des pays voisins (Allemagne, Belgique, etc.) : le Belgique (que je connais bien) était majoritairement câblée, avec la norme PAL et nettement plus de chaînes (souvent au moins une vingtaine). L’Allemagne utilisait majoritairement elle-aussi le câble ou le satellite.

En 2005, la France est passé en numérique avec la TNT (Télévision Numérique Terrestre), en utilisant deux technologies : le DVB-T pour la diffusion elle-même, le MPEG2 (SD) pour l’image. Le DVB-T est une norme destinée au monde hertzien (T pour Terrestrial) pour la diffusion en numérique, le MPEG2 un codec de compression assez ancien à l’époque, que l’on trouvait déjà dans les DVD. La TNT a permis de proposer bien plus de chaînes, en plus d’améliorer la qualité.

Ce choix a été critiqué à l’époque (mais surtout a posteriori), étant donné que le H.264 (MPEG4) arrivait. A mon sens, c’était surtout pragmatique : les autres pays avaient déjà fait ce choix et les décodeurs MPEG2 étaient courants et pas trop onéreux. De plus, les téléviseurs modernes intégraient déjà des décodeurs adaptés. Passer directement en H.264 aurait nécessité bien plus de moyens, tant du côté des diffuseurs que de celui des récepteurs (nous, les téléspectateurs).

Les différentes évolutions de la TNT sont les suivantes : passage partiel en HD en 2008 (quatre chaînes gratuites, diffusées en double) avec le couple DVB-T/H.264 (en 1 440 x 1 080i), abandon de l’analogique en 2011, passage du 1 440 x 1 080i au 1 920 x 1 080i en 2011, ajout de six chaînes HD en 2012 et enfin… abandon du MPEG2 en 2016.

Première question, pourquoi changer ?

L’abandon du MPEG2 est lié à la téléphonie mobile. La TNT travaille dans la bande des 700 MHz, et le but est de libérer une partie de cette bande pour la céder aux opérateurs de téléphonie mobile (pour la 4G). Bien évidemment, libérer des fréquences implique de réduire l’usage de la TNT : on passe de huit multiplex (en simplifiant, une bande de fréquence qui contient plusieurs chaînes) à six multiplex.

Le seul moyen efficace de réduire le nombre de multiplex est de réduire la bande passante nécessaire pour chaque chaîne, en passant en H.264 (MPEG4), un codec plus efficace que le MPEG2.

Comment ça va se passer ?

Actuellement, une partie des chaînes est diffusée en MPEG2 (SD), une partie en H.264 (SD) et une partie en H.264 (HD). Dans cet ensemble, certaines sont diffusées en double (Arte, TF1, France 2 et M6). Après le 5 avril, la majorité des chaînes passera en H.264 (HD) sans doublons et deux chaînes resteront en H.264 (SD), LCI et Paris Première, ainsi que – selon les cas – les chaînes locales. Paris Première et LCI restent en SD parce que les deux chaînes étaient payantes au moment du choix et – surtout – parce que l’audience en TNT reste très faible : le seul moyen actuel de les recevoir consiste à s’abonner à Canal+. Depuis, LCI a réussi à obtenir un passage sur la TNT gratuite, mais sans passer en HD.

Techniquement, les multiplex vont contenir plus de chaînes : on passe de trois chaînes HD par multiplex à cinq. Ce n’est pas anodin : un multiplex a une bande passante fixe de ~24 mégabits/s, pour l’image, le son et les données annexes. Actuellement, chaque chaîne a donc environ 7,3 mégabits/s (le débit peut varier) pour du 1080i en H.264, ce qui est bien mais pas top. A titre de comparaison, un Blu-ray peut dépasser 30 mégabits/s pour du 1080p. Dans le futur, les chaînes disposeront d’environ 4,4 Mb/s pour la même chose. Le débit peut varier : un film diffusé avec plusieurs langues demande plus de bande passante, le sport aussi, etc. Les émetteurs pourront mettre en avant un canal en fonction de ce qu’il diffuse, certains contenus ayant besoin de plus de bande passante. De même, France 3 devrait comme actuellement rester sur un débit fixe pour gérer les décrochages régionaux.

Au passage, si vous trouvez que l’image de France 3 est mauvaise, c’est assumé et « normal ». Actuellement, la chaîne est diffusée en 544 x 576 anamorphosé, avec un débit fixe de 4,5 mégabits/s, pour gérer proprement les décrochages. Les autres chaînes en SD travaillent en 720 x 576 (anamorphosé aussi) avec un débit variable qui peut atteindre environ 8 mégabits/s dans la pratique. La différence de définition horizontale joue pas mal sur la qualité, tout comme la gestion du débit en MPEG2.

France 3 SD

France 3 SD

Dans la pratique, même si ça va être compliqué à vérifier, les chaînes déjà disponibles en HD risquent de perdre un peu en qualité.

Pourquoi ne pas passer en H.265 ou en DVB-T2 ?

Pourquoi rester sur une technologie en place depuis plusieurs années et ne pas passer au DVB-T2 – une amélioration du DVB-T qui offre plus de bande passante – ou au HEVC (H.265) ? Pour des raisons pragmatiques, encore une fois. Seuls les téléviseurs très récents supportent ces deux normes et imposer ce dernier aurait donc nécessité de remplacer énormément de matériel.

Si l’Allemagne le fait au printemps, le contexte est différent. Premièrement, l’Allemagne est passé en numérique avant la France (en DVB-T/MPEG2), en 2002, mais n’est pas passé en HD depuis en hertzien. Deuxièmement, le hertzien est peu utilisé outre-Rhin : le changement de matériel obligatoire ne touche donc pas une grande partie de la population. Troisièmement, le choix allemand implique une future évolution : l’image va rester en HD, avec du DVB-T2, du HEVC mais une image en 1080p.

Le passage en DVB-T2 et HEVC est plutôt attendu en France en 2020 (au mieux) avec de l’Ultra HD.

Ca implique quoi au final ?

Sur un téléviseur, un décodeur vidéo compatible avec la norme H.264 va devenir obligatoire. Une majorité des modèles sortis depuis 2009 est compatible : ce décodage est obligatoire depuis cette année là sur les modèles « HD » de plus de 26 pouces. Depuis 2012, la présence de la compatibilité est obligatoire sur tous les téléviseurs.

Le meilleur moyen de le vérifier est de faire une recherche de chaînes et de tester le canal 7 et le canal 57 (Arte). Quand le téléviseur est compatible, un des deux doit afficher le logo HD (généralement le canal 7, mais ça dépend un peu du téléviseur).

Arte SD

Arte SD


Arte HD

Arte HD

Et si ça ne marche pas ?

Pas besoin de changer de téléviseurs. Il existe des décodeurs externes vendus pour environ 30 € capables de recevoir la TNT HD. Ca implique de brancher un appareil en plus (en Péritel ou en HDMI) et d’utiliser une nouvelle télécommande, mais ça va fonctionner.

Le cas de la TNT par satellite

En France, on vous propose… la TNT par satellite. C’est un peu idiot présenté comme ça, mais bon. Il existe deux fournisseurs (TNTSat et Fransat), qui diffusent les chaînes de la TNT sur le satellite, en DVB-S(2). Dans les deux cas, les chaînes passent aussi en HD et la diffusion en SD disparaît donc. Petite subtilité, très énervante : il va falloir changer de décodeurs si vous avez un modèle SD. Et comme la diffusion est chiffrée pour éviter que des Européens regardent TF1, vous allez être obligé d’acheter un décodeur de votre fournisseur, qui vaut un peu plus que 30 €…

Le cas de Numericable

Numericable (SFR) est un autre cas particulier : l’opérateur diffuse les chaînes de la TNT en DVB-C (la variante câble) sur le câble, certaines en clair, mais aussi les chaînes de la TNT en DVB-T sur le câble (oui, c’est idiot). Je n’ai pas trouvé d’information sur le passage en HD de cette rediffusion, mais je suppose que SFR récupère directement le flux TNT, donc que les chaînes vont passer en HD. Pour la variante en DVB-C, aucune idée non plus, mais les téléviseurs qui intègrent un tuner DVB-C sont rares et les appareils sont généralement réglés pour chercher des signaux hertziens par défaut.

Le cas des récepteurs pour les ordinateurs

Dernier cas particuliers, les récepteurs TNT pour les ordinateurs. Techniquement, ils peuvent tous recevoir la TNT HD : la réception elle-même n’a pas changé depuis 2005 et utilise la norme DVB-T. Pour le décodage, c’est plus compliqué.

Premier point, l’image : la majorité des logiciels peut décoder du H.264 en HD, c’est essentiellement dépendant de la puissance de l’ordinateur. En gros, c’est possible sans soucis avec un Core 2 Duo (qui date de 2006). Sur mobile, j’en parlais récemment, c’est plus tendu : les appareils n’ont pas nécessairement la possibilité de le faire. Sur un Mac, un modèle Intel est nécessaire (ou un gros G5), sur les appareils plus anciens (G4), ça risque de poser des soucis.

Second point, le son. Les chaînes HD actuelles (sauf Arte, qui reste actuellement en MP2/256 kbps) utilisent le codec E-AC3 (Dolby Digital Plus), et certains logiciels ne peuvent pas décoder ce codec. La solution consiste à trouver une mise à jour du programme de lecture (quand c’est possible) ou à installer un autre logiciel (là aussi quand c’est possible). Attention, donc. Le moyen le plus simple consiste à tester TF1 HD et de vérifier si vous avez du son.

Si certains points ne sont pas clairs, les commentaires sont là.