Harry Potter et l’accélération des films à la télévision française

Depuis quelques semaines, TF1 passe la série des films Harry Potter. Et avec le quatrième opus, il y a eu un petit drame sur Twitter : les fans se plaignaient d’une accélération du film. Et l’explication est intéressante.

Pour faire court, il y a bien une accélération, mais elle est assez faible (~4 %) et elle n’est pas là pour réduire la durée des films, mais pour des raisons techniques.

Pour faire long

Quand j’ai vu ça, et vu la réaction outrée des fans qui parlaient d’une accélération de 10 à 20 %, je pensais vraiment que TF1 avait accéléré le film (assez long). La semaine suivante, j’ai donc enregistré le film pour vérifier s’il était accéléré. De fait, il l’était… en PAL speed up. Et c’est normal en France.

Revenons en arrière. Du temps de la télévision analogique, les normes de télévision sont calées sur la fréquence du courant électrique. Il y a pleins de raisons derrière ça, pas besoin d’aller dans les détails. On a donc du 60 Hz en aux Etats-Unis, du 50 Hz en Europe. Les normes de l’époque (NTSC aux USA, PAL et SECAM en Europe) sont entrelacées : on transmet deux demi-images successives. On parle donc généralement de 480i (USA) et de 576i (PAL). On va éviter le Japon, qui travaille en 50 et en 60 Hz pour le courant, mais uniquement en 60 Hz pour la vidéo. Le truc à retenir : on a 60 images/s en NTSC, 50 images/s en PAL.

En 2020, la diffusion de la TV dérive encore de ces normes. La TNT diffuse en 1080i mais à 50 images/s (et en SD dans de rares cas, mais passons), comme à l’époque en SECAM. Ça peut sembler anachronique, mais même si tous les téléviseurs LCD supportent un affichage progressif à 60 Hz, ça permet de garder la compatibilité avec les vieux téléviseurs, les décodeurs TNT externes, etc.

Maintenant, les films. Ce qui est diffusé au cinéma (on ne parle pas de séries, de téléfilms, etc.) est filmé à 24 images/s (bon, sauf Pete Jackson et Ang Lee). Et mettre 24 images dans un truc qui en affiche 50 (la TV en Europe) ou 60 (la TV aux USA), ce n’est pas si simple. Il y a donc deux méthodes. En PAL (SECAM), c’est assez basique : on accélère. Ca s’appelle le PAL speed up, et c’est ce que les fans ont détecté. L’accélération est assez faible : environ 4 %. Pour l’audio, ça monte d’un demi-ton, et dans certains cas, on peut tout simplement corriger numériquement l’audio pour éviter ça (ce n’est a priori pas le cas chez TF1). En NTSC (USA), la technique s’appelle le 3:2 pulldown. Je ne vais pas détailler, mais les USA n’accélèrent pas (contrairement aux bêtises lues là) mais ajoutent des images pour monter de 24 à 30, ce qui induit de petites saccades visibles.

Dans les formats vidéo pour la maison, ce n’est pas systématique. Les LaserDisc utilisent cette technique, parce qu’ils contiennent un signal analogique, tout comme les VHS. Pour les DVD… ça dépend. On peut avoir du 50i accéléré en Europe, mais aussi parfois du pseudo-24p en trichant un peu, ou du 60i aux USA. Dans les Blu-ray, HD DVD, services de streaming, etc., on peut directement avoir du 24p.

Le problème TF1

C’était un peu long, mais le problème TF1 est amusant. De façon tout à fait pragmatique : les films sont tous accélérés (bon, je dis tous, il doit y avoir des exceptions pour les trucs tournés à autre chose que 24 fps). Mais en temps normal, personne ne le remarque, parce que c’est le cas depuis très longtemps, et que les sources classiques – avant l’arrivée des Blu-ray – étaient aussi accélérées.

Sauf pour Harry Potter. On est typiquement dans un cas particulier : des fans hardcore, qui connaissent bien les films, qui ont peut-être le Blu-ray, ou en tout cas une copie issue d’un Blu-ray, lue à la bonne vitesse. Sans point de comparaison, on peut difficilement se rendre compte qu’un film est accéléré de 4 %. Quand on a l’habitude de voir et entendre une version à la bonne vitesse, c’est tout de suite plus simple.

Sur le coup, au départ, je me suis fourvoyé. L’explication PAL speed up semblait illogique parce que les fans avaient l’air convaincus d’une grosse accélération sur la vidéo et l’audio. Et le PAL speed up est justement assez discret. Du coup, j’ai cherché, j’ai trouvé un enregistrement TV de la diffusion, que j’ai synchronisé avec ma copie en 24p. Et il n’y a pas d’accélération majeure. Juste du PAL speed up. Je mets un extrait rapide pour comparer ce qu’une personne a filmé avec la vidéo originale.

Le côté amusant de la chose, c’est que les fans hurlaient sur les réseaux sociaux pour le 4e, qu’il y a eu assez peu de messages sur les précédents et sur les suivants. Et j’ai pu le vérifier : l’accélération est la même. Je suppose que quand une personne a suggéré une accélération, certains ont essayé de l’entendre – elle existe – et ont conclu que TF1 essayait de raccourcir le film. Ça a quand même généré pas mal d’articles (1, 2, 3, 4, etc.), pour… rien. De ce que j’ai pu vérifier, l’accélération est la même sur tous les films (et généralisées à la télévision).

Je crois qu’ici on a un bon mélange : la suggestion de l’accélération (réelle, mais méconnue), des fans qui connaissent bien les films, un peu de haine du diffuseur (TF1). Et avec tout ça, on a un bon complot et un peu de buzz sur Twitter.

Pour terminer, ce qui me fait un peu rire, parce que j’aime bien les complots idiots, ce sont les gens qui affirment que TF1 a raccourci sciemment le film. Mais pourquoi ? Dans l’absolu, pour TF1, c’est un film long qui est intéressant : ils peuvent mettre plus de publicités.