L’iPhone et obsolescence programmée

Je n’ai pas trop réagi ici sur le scandale lié la batteries des iPhone, parce que je traite finalement assez rarement de l’actualité chaude. Mais le ressenti de certains me semble intéressant à analyser. Parce que si ce que fait Apple n’est pas de l’obsolescence programmée, le fait est qu’Apple ralentit les iPhone sans le dire explicitement. Le post est long et un peu foutraque, désolé d’avance.

Apple ralentit les iPhone. On peut essayer d’expliquer les raisons techniques derrières – iGen le fait bien -, montrer que le but est d’augmenter la durée de vie de l’appareil (c’est le cas) et expliquer que sans cette réduction des performances, les téléphones se couperaient (peut-être) sans raisons, mais il ne faut pas occulter ce simple fait : Apple ralentit les iPhone sans l’indiquer.

Ca ne serait pas arrivé sous Steve Job… OhWAIT

Crise de confiance

Sans même aller vers le complot de l’obsolescence programmée, la solution pose un problème de confiance. Ralentir un appareil en secret, sans aucune indication et après une mise à jour du système, même pour des raisons techniquement valables, c’est un gros problème. Pour un utilisateur lambda, il s’agit évidemment d’une incitation au changement, cachée, avec un but précis : faire acheter un nouvel iPhone. Le raisonnement me semble toujours aussi idiot, dans le sens où une personne qui voit un appareil (quel qu’il soit) ralentir ou tomber en panne prématurément (selon ses critères) ne devrait pas (à mon avis) se tourner vers la même marque. Mais l’addiction à Apple est peut-être assez forte pour pousser les gens à changer d’iPhone et à quand même se tourner vers un iPhone.

Le problème, c’est qu’il est quand même assez difficile de voir une différence entre un iPhone qui rame à cause d’un OS mal optimisé (genre un iPhone 3G sous iOS 4, un iPhone 4 sous iOS 7, etc.) et un iPhone qui rame parce que sa batterie est en fin de vie et qu’Apple a décidé de ralentir le CPU pour cette raison. L’excuse du message d’iOS (ou de macOS, d’ailleurs) qui affiche (parfois) qu’il faut changer la batterie n’en est pas réellement une : d’une part, le message en question n’est pas réellement lié au bridage (on peut avoir un ralentissement sans le message) et d’autre part, personne ne va directement faire le rapprochement entre « la batterie a perdu en capacité » et « mon smartphone rame ». Parce qu’Apple ne communique pas sur ce point. Parce que le problème touche spécifiquement les smartphones Apple qui combinent des CPU qui ralentissent peu en usage classique et des batteries de faible capacité au départ. Parce que sous Android, c’est nettement plus simple d’expliquer que le smartphone ralentit après avoir lancé un jeu en 3D et fait chauffer le smartphone.

Sony prévient quand la fréquence du CPU descend (image LesNums)

Apple supporte ses appareils pendant longtemps, c’est un fait, et c’est plutôt une bonne chose. Mais Apple ralentit aussi ses appareils sans prévenir dans certains cas, c’est un fait aussi. Ce qui n’incite pas vraiment un utilisateur lambda à mettre à jour son smartphone pour une hypothétique attaque de pirate. Parce que les problèmes de sécurité, c’est comme les sauvegardes : un mythe tant que le compte en banque n’a pas été vidé (« Je n’ai rien à cacher, pourquoi il s’intéresserait à moi spécialement ? ») ou que le disque dur contenant les photos des bébés tombe en panne.

Le mythe de l’obsolescence programmée

Forcément, quand Apple ralentit les iPhone sans le dire, le raccourci vers l’obsolescence programmée – qui n’existe pas réellement – s’effectue assez vite. Pour être clair, Apple ne fait pas de l’obsolescence programmée. Il existe quelques exemples atypiques, mais en réalité, ça n’existe pas. Personne ne fait des appareils qui vont tomber en panne à un moment précis (astuce, le « programmée » dans « obsolescence programmée« , c’est ça). Les appareils ne tombent pas tous en panne le lendemain de la garantie. Mais les appareils tombent parfois en panne, c’est une évidence. Parfois, ils tombent même plus en panne que ce qu’ils devraient. Mais quand Apple doit rappeler (et remplacer) des millions de MacBook Pro à cause de nVidia, et que nVidia doit payer la facture, difficile de voir une quelconque programmation ou même un quelconque intérêt : c’est désastreux pour l’image et évidemment extrêmement coûteux. Et comme expliqué plus haut, la logique même pose un souci : quel client va aller racheter un produit de la même marque que celui qui est tombé en panne trop tôt ?

Reste que le but de la majorité des sociétés est de gagner de l’argent. Je ne compte pas reprocher à une marque d’essayer de faire vendre de nouveaux produits en offrant plus de fonctions, un truc plus rapide, plus beau, moins cher. Notre société fonctionne comme ça, et essayer d’imaginer un complot sur une supposée obsolescence programmée parce qu’une partie de la population (peut-être pas vous) apprécie de changer d’iPhone tous les ans même si l’ancien fonctionne encore ou veut racheter un Mac (ou un téléviseur, réfrigérateur, etc.) alors que l’ancien marche encore, c’est idiot. Si ça vous chagrine de voir ce gaspillage, tentez d’éduquer les gens, pas d’inventer un complot.

« La machine à laver de mon arrière-grand-mère, et elle fonctionne encore »

Maintenant, j’attends évidemment les commentaires classiques sur « Mon pépé à un frigo qui marche depuis 40 ans, OBSOLAYSSANCE PROGRAMMAY ». C’est un effet de biais assez classique, étant donné que vous occultez (pour de bonnes ou de mauvaises raisons) les appareils tombés en panne, les éventuelles réparations, le prix au départ, etc. Plus le fait, évidemment, que le vieux matériel sans électronique a le double avantage d’éviter ce vecteur de pannes et que les réparations restent plus simples. Ce genre de biais risque d’ailleurs de disparaître dans certains cas, et pour une bonne raison qui n’est pas que les appareils tombent plus en panne ou résistent moins dans le temps, mais parce que les évolutions sont plus rapide. Prenons l’exemple d’un téléviseur. Une personne qui a acheté un téléviseur au début des années 80 en mettant un prix raisonnable a pu l’utiliser sans soucis – considérons qu’il ne tombe pas en panne, ce qui reste hautement improbable – jusqu’en 2011. A cette date, il est devenu obsolète d’un point de vue technique, avec l’obligation d’acheter un adaptateur TNT. Une autre personne a acheté un téléviseur LCD au début des années 2000, il est aussi devenu obsolète en 2011. Une autre a acheté un téléviseur LCD vers la sortie de la TNT (~2005). Il y a de grandes chances qu’il soit devenu obsolète en 2016. Et un téléviseur acheté entre ~2009 et ~2014 sera sûrement obsolète au milieu des années 2020 pour la même raison. Certes, une partie des utilisateurs va acheter un adaptateur, mais une autre changera d’appareil, même s’il fonctionne techniquement. En plus de cette pseudo-obsolescence technologique, les évolutions incitent aussi certains à changer. Les téléviseur évoluent finalement assez peu dans les années 80/90, alors que depuis 2000, on est passé de petits LCD en 640 x 480 à des monstres de 65 pouces en Ultra HD.

Ca a un certain charme (ou pas)

La mondialisation et la généralisation du bas de gamme en électronique a évidemment un impact sur la durée de vie. Pas besoin d’aller vers de l’obsolescence programmée ou vers un hypothétique complot du constructeur pour réduire sciemment la durée de vie avec l’entrée de gamme : c’est prévu pour fonctionner sans trop de soucis pendant la durée de la garantie et au-delà, c’est au petit bonheur la chance. Ça peut tomber en panne, comme ça peut fonctionner 10 ans. Il faut bien comprendre que vendre un PC portable ou un téléviseur (ou un truc électronique) à prix bas, ça implique de prendre des composants sans marge de tolérance. Genre le moins cher des condensateurs qui va faire son boulot. Parce que celui au-dessus coûte 5 centimes de plus, mais que multiplié par le nombre de condensateurs et le nombre d’appareils, ça commence à faire. Genre placer les composants où il y a de la place. Parce que payer un ingénieur pour faire un circuit vraiment optimisé, ça a un coût. Genre utiliser des plastiques bas de gamme, des clips, etc. Monter en gamme (un peu) permet normalement d’éviter ça, même si ce n’est pas une généralité. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que si les fabricants essayent de réduire les coûts au maximum, c’est parce que nous (globalement, pas nécessairement vous en particulier) voulons des appareils moins onéreux avec les mêmes fonctions. Et comme une partie significative de la population pense que quand une grande société vend son produit plus cher que le Chinois qui se moque des normes, c’est une arnaque et « Ça sort des mêmes usines, donc c’est la même chose », on arrive vite à un problème. Le raisonnement a évidemment une énorme faille : pratiquement tous les produits high-tech modernes sortent des usines chinoises (du Wiko pseudo-français à l’iPhone X). Si Apple vend un chargeur USB 25 € et le gars du marché vend un chargeur Apple en chinoisium 2 €, ce n’est pas parce que le pauvre petit vendeur prend moins de marge. C’est parce que c’est de la merde dangereuse.

L’obsolescence programmée est un mythe, mais il en existe d’autres. L’obsolescence naturelle reste la plus courante, mais comme l’explique ce post, « Libre à vous de continuer à utiliser un pot de chambre parce que vous pensez que les industriels des toilettes complotent contre vous. ». Plus clairement, prenons un concept high-tech simple : la lecture de films à domicile. Ces quarante dernières années, le marché est passé du LaserDisc à la VHS, de la VHS au DVD, puis au Blu-ray (au HD DVD) ou même (plus récemment) au Blu-ray Ultra HD. Techniquement, les lecteurs de LaserDisc ou les magnétoscopes fonctionnent encore dans pas mal de cas, mais personne (ou presque) ne continue à utiliser ces derniers à cause d’une obsolescence naturelle : les DVD sont plus pratiques, plus fiables, plus simples à ranger. L’exemple est très intéressant au niveau de l’obsolescence parce que le DVD montre que si le successeur n’offre pas des avantages significatifs dans plusieurs domaines, le public ne suit pas nécessairement. Les DVD se vendent encore très bien (au détriment des Blu-ray) et le format n’est pas frappé d’obsolescence naturelle parce que ses successeurs n’apportent pas de gains en dehors de la qualité d’image. L’obsolescence naturelle n’est pas une fatalité en high-tech – le DVD a plus de 20 ans – mais elle existe, il ne faut pas l’oublier.

Dernier point, lié à Apple, les contraintes et les demandes des utilisateurs. On peut considérer qu’une batterie amovible, c’est mieux. Mais que plus d’autonomie, c’est encore mieux. Pas de chance, la physique passe par là : une batterie collée dans le smartphone (ou le PC portable, etc.) a l’avantage de permettre de gagner de la place. On éviter le mécanisme d’ouverture, les protections quand elle est sortie, etc. Même chose pour la RAM : souder la RAM sur la carte mère empêche de mettre à jour. Mais ça permet de faire des appareils plus fins et plus fiables, vu qu’on se passe des mécanismes de connexion. Beaucoup de choix dans la conception des appareils modernes – spécialement chez Apple – sont critiquables et liés à des compromis (qu’on peut trouver valables, ou pas). Les compromis tendent d’un côté ou d’un autre en fonction du marché, de la demande, des choix des constructeurs. Le fait est que le marché actuel va vers des appareils fins, légers, autonomes, remplacés régulièrement. Pas vers des appareils réparables, upgradables mais plus gros. On peut le déplorer, mais c’est un constat simple : les marques qui tendent à aller dans ce sens se plantent. Et l’absence de choix ne peut à mon sens pas être vu comme une cause de ces échecs. Si une partie des sociétés suivent aveuglément quelques prescripteurs sur les choix techniques (Samsung ou Apple dans les smartphones), d’autres essayent de se démarquer. Visiblement, un smartphone avec une batterie amovible n’intéresse pas tant de gens que ça, étant donné qu’une marque reconnue comme LG a tenté l’expérience récemment avant de revenir sur ce choix. Quoi qu’on puisse en penser, je suis convaincu qu’une partie importante du marché préfère des smartphones fins, léger et pas évolutif/modifiable à un appareil plus lourd (ou plus cher, ou plus gros). Parce que le smartphone sera remplacé après un certain temps, parce que pour diverses raisons – et pas une hypothétique obsolescence programmée – il aime le changement. Cette mentalité changera peut-être avec le temps. Ou peut-être pas. Et bien évidemment, ceux qui changent de smartphone tous les ans sortiront tout de même l’excuse de l’obsolescence programmée pour ne pas assumer. Mais c’est la vie.

Le gain en épaisseur, ça a parfois du bon

Assumer ses choix

Pour terminer (oui, c’était long), je vous conseille d’essayer d’assumer vos choix. Si vous trouvez que changer d’iPhone tous les deux ans est ridicule, ne le faites pas. Si vous trouvez qu’Apple a fait de mauvais choix, n’achetez pas. Tournez-vous vers d’autres marques, gardez vos appareils et réparez-les. Parfois, la réparation vaudra plus qu’une machine neuve. Parfois vous pesterez contre la vitesse de ce smartphone qui a plus de 3 ans. Mais assumez. Si vous voulez un smartphone (plus ou moins) éthique, ça existe. Un modèle réparable, durable, aussi. Préparez-vous par contre à mettre le prix pour vous retrouver avec des appareils perfectibles, avec un suivi pas forcément efficace. Mais il ne s’agit pas d’une fatalité : si beaucoup de personnes assument ce genre de choix, préfèrent acheter un smartphone plus épais avec une batterie amovible, les constructeurs proposeront des smartphones avec une batterie amovible. Peut-être pas tout le monde (sûrement pas Apple), mais le choix existera. Le marché actuel, basé sur l’esthétique, le design et le prix, n’est pas une fatalité. Je ne suis pas convaincu qu’il s’agit de bons choix (personnellement, je préfère les smartphones fins et léger tant qu’ils passent la journée) mais je pense que si suffisamment de gens décident de se tourner vers des appareils plus autonomes (ou plus réparables), les fabricants proposeront des appareils plus autonomes et réparables. Vraiment. Tout comme Apple évitera (peut-être) de ralentir les iPhone sans le dire dans le futur. Ou s’arrangera pour que personne ne le détecte.

Un choix possible si vous assumez vos choix (dans la douleur)